Visite chez les “vrais hommes” dans la ville la plus septentrionale de Russie
“Ils chantaient un cantique nouveau, en disant : Tu es digne de prendre le livre et d’en briser les sceaux. Car tu as été mis à mort et par ta mort tu as racheté pour Dieu des hommes de toute tribu, de toute langue et de toute nation.” (Apocalypse 5.9)
Arrivée en Tchoukotka
Le 10 octobre 2020, j’ai pris l’avion de Yakoutsk à Pévek sur l’invitation de l’église et avec le soutien de la mission FriedensBote/Messager de la Paix, afin d’y visiter et encourager les frères et sœurs dans la foi. Pévek est la ville la plus septentrionale de Russie et se trouve sur la côte de la mer de Sibérie orientale, dans le territoire autonome de Tchoukotka. Sur une superficie grande comme deux fois l’Allemagne, un peu plus de 50 000 personnes vivent dans le Grand Nord, dont 14 000 sont des autochtones, des Tchouktches. Leur manière de se désigner dans leur langue est “Luoravetlans”, ce qui signifie “les vrais hommes”.
La première chose que j’ai aperçue en atterrissant à Pévek, c’est la mer à perte de vue et le littoral que longe la piste d’atterrissage. Puis, j’ai remarqué qu’il n’y a pas d’arbres dans cette région. La ville est entourée de collines rocheuses nues, couvertes de mousse et de végétation basse. On m’a expliqué qu’il n’existe ici que du jagel (de la mousse de renne qu’on appelle aussi mousse islandaise et qui se présente comme un mélange d’herbe et de mousse). Pévek se trouve pratiquement à l’entrée de la péninsule de Tchoukotka.
Tout est resté comme à l’époque soviétique
Le bâtiment de l’aéroport de Pévek est une copie conforme de l’ancien bâtiment de l’aéroport soviétique de Yakoutsk. Les mêmes sols en béton, les mêmes lambris en bois, la même salle d’attente. Le bâtiment a beau avoir été rénové avec des matériaux modernes, on s’y sent immédiatement ramené à l’époque de l’URSS.
La population de la péninsule de Tchoukotka a beaucoup diminué après l’effondrement de l’Union soviétique ; beaucoup sont partis et la population d’origine s’éteint lentement : l’abus d’alcool en est l’une des principales raisons. À Pévek la population a également diminué de 70 % au cours des trente dernières années. Aujourd’hui, la ville compte un peu plus de 4500 habitants de diverses nationalités.
J’ai été accueilli à l’aéroport par Pavel, qui est venu dans cette ville avec sa femme Nadejda il y a huit ans comme missionnaire. L’ancien de l’église, le frère Youri Mikhaïlovitch, un autochtone de Tchoukotka, était à ce moment-là à Moscou.
Les traces des pénitenciers soviétiques
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’administration pénitenciaire du GOULAG a commencé à explorer et à développer la péninsule de Tchoukotka. Il y eut finalement trois “camps indépendants de rééducation par le travail”, comme on les appelait officiellement. À Pévek même se trouvaient les administrations de deux pénitenciers. À 60 kilomètres à l’est de la ville les prisonniers de l’un des camps extrayaient de l’uranium, ceux de l’autre camp travaillaient dans les mines ou construisaient la ville de Pévek. Ils ont bâti des écoles, des internats, des usines de construction de voitures et une centrale électrique. En raison du secret entourant les activités du GOULAG dans la région, Pévek n’a été mentionné sur les cartes géographiques qu’à partir des années 1950, après le démantèlement du système de camps en Tchoukotka.
Des statistiques du début du 20e siècle indiquent qu’on a recensé environ 700 Tchouktches baptisés. Ils sont restés largement païens et souvent incapables de comprendre la signification du baptême, la liturgie ou les prières orthodoxes. Selon les informations officielles soviétiques, dans les années 70 il n’y avait plus de chrétiens en Tchoukotka.
C’est ce qu’annonçaient fièrement les communistes lors des congrès de leur parti. Pourtant on trouve des traces de christianisme chez les petits peuples des Lamoutes et des Tchouvaches établis autour du village de Markovo.
L’Évangile parvient au bout du monde
Dans les années 1990 a commencé la deuxième phase de la christianisation du Nord par des prêtres orthodoxes de Khabarovsk, de Magadan (Ndlr : villes d’Extrême Orient) et même de Russie centrale. Des baptistes et des adventistes y sont également apparus. Ils ont apporté des biens humanitaires, et établi leurs stations missionnaires dans les localités les plus éloignées. Actuellement, sur Tchoukotka, il y a bien quatre églises orthodoxes, mais la population reste ignorante en matière de foi.
Il y a cependant aussi des chrétiens nés de nouveau : une église baptiste, ainsi qu’un groupe d’étude biblique à Pévek, et une famille chrétienne à Anadyr. En outre, quelques chrétiens vivent dans la colonie de Providenya, à l’extrémité sud-est de la péninsule de Tchoukotka. Aussi sont-ils très heureux lorsqu’ils reçoivent des visiteurs et du soutien, car les rares chrétiens vivent entre 500 et 900 kilomètres les uns des autres. À ce jour, le Nouveau Testament n’est pas encore traduit en langue tchouktche. Environ 60 % des Tchouktches ne parlent plus leur langue maternelle, la quasi-totalité pratiquent le russe. Actuellement une traduction du Nouveau Testament dans les langues locales est en cours.
Quitter sa patrie pour apporter le message du salut
J’ai été pris en charge par la famille de Pavel et de Nadejda. Pavel est originaire de Bryansk (près de 400 km au sud-ouest de Moscou) et Nadejda vient de Sacramento (États-Unis), où sa famille avait émigré depuis la ville ukrainienne de Tchernovtsy.
Dieu les a unis par le mariage, et ils sont venus en Tchoukotka pour y annoncer l’Évangile. Longtemps ils n’ont pas eu d’enfants. Puis ils ont adopté deux orphelines, Rosa et Vasilina, qu’ils aiment tendrement. Enfin, Dieu leur a donné Kristina, une fille à eux.
« Nous voulons inculquer aux enfants l’amour de la création et de la patrie, et nous voulons aussi qu’elles reçoivent une bonne instruction diversifiée. Moi, comme professeur d’anglais, je m’occupe d’elles à la maison. Nous nous efforçons de parler anglais entre nous et leur enseignons les noms des plantes, des animaux et des objets. Nous voulons les voir grandir heureuses et en bonne santé et qu’elles reçoivent tout ce que nous et ce pays si particulier pouvons leur donner », explique Nadejda. (Ndlr : La maman, toute à ces aspects terrestres de sa formation, en oublie de mentionner l’essentiel qui tient aux cœurs de ces parents : l’amour pour Dieu et l’obéissance à sa Parole !)
Il s’est avéré que la mère biologique des deux filles vit encore. Comme elle souffre d’une grave maladie incurable, elle se trouve dans un hôpital. Elle ne peut pas compter sur le soutien de ses proches : l’une de ses sœurs biologiques souffre de la même maladie. Tout le reste de la parenté est alcoolique.
C’est pourquoi Pavel et Nadejda aident cette femme en lui procurant de la nourriture et des médicaments, ils lui parlent de la vie de ses filles et lui montrent régulièrement leurs photos.
Pour conduire des âmes à Jésus il faut déjà donner l’exemple
Cette famille est un excellent modèle pour moi. Pavel travaille dans son métier, tandis que Nadejda est occupée à la maison avec les enfants. C’est leur foyer qui maintient l’unité de toutes les autres familles de l’église. Celle-ci est principalement composée de membres jeunes. Pavel prend beaucoup de temps pour eux, tandis que Nadejda se retrouve fréquemment avec les sœurs pour préparer des repas, faire de la pâtisserie et des ouvrages d’artisanat.
En outre, Pavel et Nadejda prennent soin des personnes âgées et entourent les jeunes avec un dévouement évident. Ils aident aussi ceux qui connaissent toutes sortes de difficultés.
Premiers fruits après vingt années de semailles
Jésus-Christ a promis que l’Évangile serait prêché jusqu’aux extrémités de la terre, et nous sommes aujourd’hui témoins de l’accomplissement de cette promesse.
Par le passé, des évangélistes ont déjà travaillé en Tchoukotka. Il y a presque 20 ans, Mikhaïl Troubtchik est venu ici et y a vécu onze mois. Bien que ceux qui se sont convertis à Jésus à l’époque soient déjà dans l’éternité, d’autres ont aussi été conduits à Christ et sont plus ou moins le fruit du ministère de Mikhaïl.
Pour ma part, j’ai également voulu encourager les frères et sœurs et les motiver à ne pas se relâcher, et à poursuivre la diffusion de l’Évangile.
La faim de la Parole de Dieu est grande
Animés d’une grande attente, les chrétiens se sont réunis chaque jour.
Peut-être était-ce parce qu’ils sont très rarement visités et expérimentent peu la communion fraternelle. Les rencontres ont lieu dans un appartement de trois pièces.
Il n’y a pratiquement pas de maisons individuelles. Toutes les administrations et les magasins sont établis au rez-de-chaussée des immeubles.
Les appartements ont tous une taille standard. L’église en possède également un, qui se compose d’un salon, de deux petites pièces annexes et d’une cuisine. Le salon est malheureusement petit, de sorte qu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde et certains sont assis dans le couloir.
À mon arrivée, Pavel m’a emmené directement dans cet appartement, où j’ai été accueilli avec du “poisson et du sel”, et salué en tchouktche.
Bien que ne comprenant pas cette langue, la salutation m’a fait plaisir.
Comme il est de coutume dans le Nord, j’ai été immédiatement invité à table où le repas était tout prêt. Les frères et sœurs m’ont posé de nombreuses questions auxquelles j’ai eu plaisir à répondre. Ils m’ont parlé de leurs vies et du chemin qui les a conduits au Seigneur Jésus. Ils m’ont également demandé mon témoignage.
Jusqu’à présent, les chrétiens de Pévek étaient coupés du “monde extérieur”, mais récemment un vol direct jusqu’à Yakoutsk a été mis en place, de sorte qu’ils comptent avoir dorénavant une communion plus suivie avec les frères de là-bas.
Covid-19 ?
Les deux derniers jours à Pévek, j’ai eu de la fièvre et des douleurs dans les membres, mais sans rhume ni de mal de gorge. Je n’avais jamais connu cela lors d’un rhume ordinaire, et j’ai donc soupçonné que cela pouvait être lié au Covid 19.
De retour à la maison, je me suis senti de plus en plus mal. Toute une semaine, je suis resté couché, sans force, incapable de manger ou de boire.
Quelques jours plus tard, un examen a révélé que j’avais une pneumonie. Bien que le test PCR ait été négatif, mon état s’est encore aggravé, jusqu’à ce que je sois finalement admis à l’hôpital. Les examens ont montré que les poumons étaient déjà atteints à 50%.
Il y eut des moments où je me suis senti vraiment mal, où j’ai pensé que mon ministère se terminait. Mais le Seigneur Jésus m’a fait grâce, car après un certain temps, je me suis senti mieux et j’ai pu quitter l’hôpital.
Je remercie Dieu pour le personnel médical. Médecins et infirmières, tous se sont montrés très patients avec les malades. Je ne peux même pas imaginer ce qu’ils doivent endurer chaque jour dans leurs vêtements de protection.
Témoigner de Jésus-Christ à l’hôpital de Yakoutsk
Je crois que Dieu a conduit les choses pour que je passe un temps à l’hôpital et qu’ainsi certaines personnes puissent entendre le message du salut en Jésus-Christ.
Je leur ai parlé du Sauveur, de son amour et de son sacrifice, de sa mort sur la croix et de sa résurrection, du mieux que j’ai pu.
Nous, les chrétiens, nous nous savons appelés à parler à tous de l’amour de Dieu, où que nous nous trouvions.
Les malades et les visiteurs ont volontiers écouté mon témoignage et accepté avec plaisir les publications chrétiennes, y compris des Nouveaux Testaments.
Pour ceux qui vivent sans Dieu dans leur cœur et sans espoir pour l’éternité, chaque moment de la vie est un véritable danger, car ils pourraient mourir sans avoir pu mettre leur vie en règle avec Dieu et avoir reçu sa paix dans leur cœur.
Vos prières nous sont indispensables!
Je remercie tous les frères et sœurs pour leur prière et pour la part qu’ils prennent à notre ministère, et je voudrais les encourager à tout remettre entre les mains de notre Seigneur Jésus-Christ !
Veuillez également prier pour l’action d’évangélisation en Arctique qui se prolonge d’une manière suivie.
Saïd Protopopov/Yakoutie