donnez-leur vous-mêmes à manger

Où l’haleine givre !

Première suite du rapport de Saïd Protopopow sur le voyage missionnaire en Arctique, en 2009

(cf. Le Messager de la Paix, N°106 – 1/2010)

Les extrémités de la terre

Jésus a dit que l’Évangile doit être annoncé jusqu’aux extrémités de la terre. Je suis convaincu que cette affirmation concerne, au vrai sens du terme, le nord-est de la Yakoutie.

Ces contrées aux conditions climatiques glaciales et hostiles, la toundra toute blanche à l’infini, et tous les désagréments qui l’accompagnent, furent souvent très utiles au pouvoir communiste qui y envoyait les opposants au régime pour ne plus en revenir. On y trouvait aussi les grands criminels de toute l’Union Soviétique qui expiaient leurs fautes.

Martyrs du 20e siècle

Des chrétiens constituaient la troisième catégorie de prisonniers voués à y souffrir le froid et la faim. Leurs conditions, souvent plus difficiles que celles des autres prisonniers, ont pourtant été une bénédiction pour le Grand Nord. Ici non plus, le sang des martyrs n’a pas coulé pour rien. Ils ont apporté dans notre région glacée la chaleur de l’amour du Christ. Beaucoup de cœurs secs des peuples du Nord ont été secoués et ont comme fondu.

Nous chrétiens de Yakoutie, nous ne connaissons pas les noms de la plupart des envoyés de Dieu des temps passés, et pourtant nous les remercierons pour l’éternité ! Dans leur détresse ils ont composé des poèmes et les ont mis en musique. Ces cantiques relatent notre réalité à bien des égards, et nous aimons les chanter.

En voici un exemplaire (traduit du russe, via l’allemand !)

Pays de la solitude, combien sont vides tes étendues !
Toi, pays de l’exil, Kolyma* polaire,
Année après année, glaciale et solitaire,
Tu salues tant de serviteurs de Dieu sous nos nues !

Mais tu es trop faible, tes tempêtes trop dérisoires,
Et, de ton souffle, le feu de la foi tu ne peux éteindre.
Dans le monde, l’amour de Dieu pénètre
Loin, au-delà des barbelés et des miradors !

Le jour vient, ainsi l’ordonne le Seigneur :
« Toi, rude pays, tes prisonniers détache !
La moisson ne manquera pas, l’été approche ;
Laisse s’en réjouir mes serviteurs ! »

Finis l’exil, la prison et la séparation.
Les chaînes se brisent, le fer tombe ;
Dans une nouvelle clarté, résonne le verbe,
L’Évangile de la puissance de Dieu, de la rédemption !

* Kolyma : terme général pour le Goulag nord-est sibérien. Remplace le nom d’un lieu de bannissement figurant dans l’original.

Valentina Borodulina : un témoin de la terreur en Syrianka

Valentina (Friedensbote en a parlé dans ses Nachrichten de 2/2004 et 2/2005.) est un des rares témoins de la terreur passée. Condamnée dans les années soixante à une peine de trois années de prison en Ukraine à cause de ses activités chrétiennes, elle est ensuite exilée six années, dont trois à Usti-Maya, en Yakoutie, et trois à Syrianka, à environ 2000 km dans le nord-est.

Syrianka, près du fleuve Kolyma, est surnommée la “prison ouverte” (Toute tentative d’évasion condamnait les malheureux à périr de froid ou de faim. (ndlr)). Le travail pénible, la faim et le froid ont anéanti en silence les prisonniers plus sûrement que toutes les balles de fusil. À cette époque, les gardiens du KGB ont essayé de décourager Valentina et la brimait. Dieu l’a protégée de l’immoralité au travers de Youri, un jeune homme qui l’a ensuiteépousée. Youri l’a aimée et est resté fidèle à son engagement après qu’elle lui ait parlé de sa tuberculose. Alors,Youri n’était pas encore chrétien, il s’est converti plus tard.

À la fin de ce temps d’exil pour Valentina, tous deux ont décidé de rester dans le Grand Nord, car c’est un très grand champ de mission. Dieu a béni cette décision et quelques personnes se sont converties.

Syrianka aujourd’hui

Depuis 1954, Syrianka est le centre de la circonscription Ulus Werchne-Kolymsk. Elle compte aujourd’hui 4700 habitants. Six villages, regroupant 2200 personnes, lui sont rattachés. Plus de 60% de la population est russe. Nombre d’entre eux sont les enfants d’anciens exilés et de leurs geôliers. Les peuples autochtones sont les Yakoutes, les Ewen, les Ewenkes et les Jakagiens, entre autres. Leur nombre décroît rapidement. Certaines tribus ont déjà disparu.

Dans la région, à part l’exploitation du charbon, on pratique l’élevage des rennes. Pendant une courte période, l’été, le fleuve Kolyma est praticable en bateau. De petits avions atteignent Syrianka, mais pas en permanence à cause de fortes tempêtes de neige qui peuvent durer parfois des semaines en hiver.

Youri et Valentina ont trois filles et un fils. Actuellement, les filles étudient à Yakoutsk. Toute la famille aime le Seigneur Jésus et s’efforce de témoigner de Lui partout. Évidemment, l’activité missionnaire des Borodulin ne plaît pas à Satan. Récemment encore, l’un des membres de l’autorité locale a menacé Valentina d’exil. Amicalement, elle lui répliqua : « Mais où pourrions-nous donc aller ? Nous sommes déjà au bout du monde ! » L’homme comprit son humour et se mit à rire.

Dieu seul sait ce que Valentina a déjà vécu. Quand j’ai chanté le cantique d’un chrétien emprisonné qui a prononcé sa dernière prière avant de mourir dans la prison de la Kolyma, Valentina a pleuré.

Nous avons passé quatre jours chez les Borodulin et dans les environs de Syrianka. Pour les quelques chrétiens de cette contrée, nous étions les envoyés de Dieu. Nous avons pu les fortifier dans la foi et les consoler. Chaque jour, nous avons beaucoup prié pour un réveil spirituel dans cette si rude région.

Saïd Protopopov
(à suivre – dans le prochain numéro, nous comptons aussi publier le témoignage de Natacha, l’épouse de Saïd)