Nouvelle mission auprès des Nénètses Le pays où l’haleine gèle!
Pendant des siècles on a banni des gens en “Sibérie”, en ces étendues froides, inhospitalières, couvertes d’immenses forêts primitives, avec, au Nord, la toundra, où même les arbres ne peuvent pousser.
La voie ferrée du Transsibérien a été construite à la fin du XIXe siècle. Le long des immenses fleuves qui coulent vers le Nord, de l’Ob, du Lénisséi et de la Léna, ont été fondées des villes, ce qui a permis de mettre la région en valeur. Il n’y a qu’une chose qui n’y est guère parvenue : la Parole de Dieu. Certes, dans les villes de Sibérie on trouve des Églises orthodoxes, mais la liturgie utilise le slavon ancien. Les gens connaissent le culte des saints, mais ne savent pratiquement rien de la Bible.
Ce n’est que dans les années 1990 que des chrétiens ont commencé à évangéliser ces contrées. Mais, de nos jours, beaucoup des petits groupes de croyants, qui en naquirent, restent livrés à eux-mêmes. Malheureusement le travail missionnaire s’est souvent limité à l’annonce de l’Évangile et on a omis de travailler à affermir les nouveaux convertis.
Il est donc important de visiter ces communautés, de les encourager et de les soutenir. De plus, elles constituent d’excellents points de départ pour porter l’Évangile plus au loin.
En février, un collaborateur de la mission FriedensBote, Jakob Janzen, a entrepris un voyage de plusieurs semaines en Sibérie occidentale, dans le secteur de Tioumen et dans le territoire autonome des Khantis et des Nénètses. Une semaine plus tard les frères Andreï Osselsky et Liviu Gusak de Moldavie se sont joints à lui. Ce dernier est médecin dans une clinique chrétienne et viendra participer à nos journées missionnaires d’automne en Allemagne.
(cf. aussi le bulletin 129, l’article : “Voir le monde avec d’autres yeux” )
Voici le rapport de Jakob Janzen :
De grands défis pour de petites communautés
Les églises du Nord connaissent des situations diverses. Des petits groupes de croyants sont aux prises avec de gros défis. Dans certains endroits, il n’y a pas ou encore très peu de chrétiens. Certains croyants cherchant un emploi sont partis, d’autres sont morts.
Un missionnaire d’Ukraine est venu s’installer à Mugen. Suite à la conversion de trois ou quatre villageois, l’épouse du missionnaire est brusquement décédée, à la suite de quoi il est retourné en Ukraine. Actuellement il n’y a plus qu’une seule croyante dans la localité.
À Gornopravdinsk la situation est également préoccupante. Le groupe de ce village s’est réduit à 5 ou 6 personnes. Dans une société marquée par la superstition, le paganisme et une éducation athée, il n’est pas facile de suivre sa route avec Dieu, alors qu’alentour tout le monde vit autrement. Les jeunes surtout sont exposés à de fortes tentations : tandis que leurs camarades vont à la discothèque, ils se retrouvent dans des réunions de prière en compagnie surtout de retraités. Le mépris et les railleries de l’entourage ne manquent pas de se faire sentir. Le besoin d’intercession est particulièrement urgent pour ces petits groupes de chrétiens aux confins du monde.
Résultats encourageants d’un travail de longue haleine
En revanche, à Tobolsk la situation est encourageante. L’église de presque 150 membres organise chaque année des séminaires pour prédicateurs, des rencontres de jeunes et des colonies de vacances. Le pasteur Alexeï Bogdanov a derrière lui de longues années de travail éprouvant ; mais il en est reconnaissant, car cela a été payant : des personnes qui, il y a quelques années à peine, risquaient de sombrer dans les bas-fonds du péché, proclament aujourd’hui la Parole de Dieu !
L’avenir s’annonce également prometteur dans l’église très active d’Uwat, une petite ville au bord de l’Irtysch. Son témoignage a donné naissance à un groupe d’étude biblique dans le village voisin de Junost komsomolskaïa (“la jeunesse au komsomol”).
Le 19 février, nous avons rendu visite à l’église de Saléchard. Son responsable, Vladimir S., s’est converti au début des années 1990, dans un groupe constitué de neuf dames. Après son baptême, ses sœurs dans la foi lui ont déclaré : « Maintenant tu es notre unique frère, il faut donc que tu prennes la direction de notre groupe. » C’est ainsi que, tout jeune dans la foi, il est devenu responsable de la communauté. Mais le Seigneur Jésus l’a soutenu dans son service et d’autres personnes ont trouvé la paix avec Dieu.
La route inconnue des cartes
En compagnie de Vladimir et de deux autres frères, nous avons effectué plusieurs visites aux éleveurs de rennes de la toundra. Après de sérieux préparatifs nous sommes partis pour le premier site, à “seulement” 150 km de là. Une voiture ordinaire n’aurait pas pu passer, aussi avons-nous pris un “Trékol”, un véhicule léger équipé de gros pneus larges et capable de rouler sur la neige durcie, sans s’y enfoncer.
Nous avons enfin atteint l’endroit où il fallait quitter la route. Georgy, un jeune Nénètse, est venu à notre rencontre avec sa motoneige. Pour franchir une pente raide, par précaution, les passagers sont descendus du Trékol et ont poursuivis à pied le trajet encore sur des kilomètres. Par deux fois, la voiture est restée bloquée dans la neige fraîche. Il a fallu pelleter, pour nous dégager et poursuivre le voyage.
Vivre dans un “tchoum”, une leçon de contentement
La nuit tombait lorsque nous sommes parvenus vers quatre tchoums (ou myas), des tentes en peaux de rennes, accueillis par des aboiements de chiens. Le Trékol a été placé à l’abri du vent, ce qui a permis à trois personnes d’y dormir. Quant à Liviu, le médecin, et à moi-même, nous avons pu passer la nuit avec les Nénètses dans l’un des tchoums, ce qui nous a fait découvrir de très près leur mode de vie. L’habitation a un diamètre de 4 m et est fermée d’une peau. Il y fait relativement sombre. Au centre se dresse un petit poêle de tôle et, sur la gauche, c’est la “chambre à coucher” de nos hôtes. Le côté droit sert à déposer les quelques objets que possèdent les Nénètses. C’est aussi là que nous dormirons.
Les frères Vladimir et Youri ont déjà passé plusieurs fois chez Gocha et sa femme Tania.
Après avoir attisé le feu, on a posé une casserole avec de la neige fondue sur le poêle et Youri a préparé un ragoût avec nos conserves. Les Nénètses ont été très heureux que nous leur ayons apporté des vivres qu’ils ne peuvent pas s’offrir souvent.
La soirée s’est écoulée rapidement. Si les propriétaires des quatre tchoums n’avaient eu un groupe électrogène en commun, nous aurions dû nous contenter d’une lampe à pétrole. En guise de lit, nous avons posé quelques peaux de rennes par terre. Le froid venait du sol par le permafrost. Quand le bois est consumé dans le poêle, la chaleur se dissipe aussitôt. Cette nuit-là le vent a soufflé en tempête, mais le thermomètre n’est pas descendu sous –25°C, ce qui fait que “les petits tours dans la nature” pour ceux qui avaient besoin de WC étaient encore supportables.
L’Évangile “pratique”
Gocha s’est levé le premier, vers huit heures du matin. Après avoir enfilé ses bottes de feutre, s’être revêtu de la maliza, un vêtement en forme de sac qui ne laisse pas passer d’air froid, il est sorti chercher du bois pour rallumer le poêle. Un quart d’heure plus tard, il faisait agréablement chaud. Le tchoum s’est alors animé : les enfants et la vieille maman, qui vit encore avec la famille, se sont réveillés. On a préparé le petit déjeuner. Puis nous sommes sortis “ramasser du bois”. Les quatre tchoums se dressent sur une hauteur et sont entourés par la forêt de la toundra. Il faut dire que les rares arbres n’ont guère plus de 20 cm de diamètre. À proximité nous avons donc abattu quelques mélèzes secs, aussitôt sciés et fendus en bûches.
Notre manière de vivre, la meilleure prédication
Dans le territoire des Nénètses il ne fait jour que quelques heures. Mais ce serait une erreur de s’imaginer que le travail missionnaire consiste simplement à expliquer l’Évangile aux gens. Dans ces contrées sauvages chacun a du travail toute la journée. Ce sont surtout les hommes qui s’occupent des rennes qui “pâturent” à proximité, c’est-à-dire qu’ils mangent les mousses et lichens dégagés de la neige avec leurs sabots.
Si la couche de neige devient épaisse, il faut trouver un autre endroit où il y en a moins pour y mener les rennes. Pendant ce temps, les femmes sont occupées à des travaux manuels. Pour coudre de nouveaux gants pour son mari, Tania a commencé par fabriquer des “fils”. Pour cela elle se sert de tendons provenant du dos d’un renne. Tous les vêtements sont confectionnés à partir de peaux de rennes.
En général, dans ce rude climat les gens, et en particulier les enfants, souffrent de fréquentes et diverses maladies, qui ne peuvent être soignées que rarement. Arthur, le jeune fils de nos hôtes, avait une oreille infectée. Le frère Livisu étant otorhino-laryngologiste a pu le soigner.
Le soir venu, nous avons parlé de Dieu avec le jeune couple. Gocha est heureux de connaître les chrétiens de Saléchard. Chaque fois qu’il se rend en ville, il loge chez eux, reconnaissant de pouvoir passer la nuit en un endroit sûr. C’est ainsi qu’il s’ouvre peu à peu au message de l’Évangile. Avant qu’un Nénètse ne se déclare ouvertement pour le christianisme, il se passe souvent des années. Nous avons constaté que Gocha observe prudemment et attentivement ses hôtes, pour voir comment ils se comportent et ce qu’ils disent. Or la mémoire des Nénètses est très grande.
Ainsi, la meilleure manière de prêcher l’Évangile, c’est de leur montrer comment vivent les chrétiens. S’il est vrai que très peu d’entre eux sont alphabétisés, ils savent très bien lire la lettre de notre manière de vivre.
Tout près du royaume de Dieu, mais tout de même perdus
Munis d’un paquet de vivres, nous avons aussi rendu visite aux tchoums voisins. Dans l’un d’eux nous avons vu, derrière le poêle, une pièce de velours suspendue sur laquelle étaient cousues trois croix. Les habitants possédaient même un Nouveau Testament. Nous référant aux croix, nous leur en avons expliqué la signification et leur avons aussi indiqué la page de leur évangile où sont imprimées les paroles de Jésus : “Vous étudiez avec soin les Écritures, parce que vous êtes convaincus d’en obtenir la vie éternelle. Or, précisément, ce sont elles qui rendent témoignage de moi” (Jn 5.39).
Dans le troisième tchoum nous avons vu trois images de “saints” de l’Église orthodoxe. À la question de savoir s’ils croient en Jésus, la maîtresse de maison répondit : « À notre manière ». Autrement dit, ils ont ajouté Jésus et les “saints” à leurs dieux, espérant ainsi que l’un ou l’autre saura bien les aider. Il y a là malheureusement un mélange de pratiques de l’Église orthodoxe et du chamanisme, ce qui fait que les gens continuent à vivre dans la peur des mauvais esprits. Là aussi nous avons parlé de l’Évangile du salut complet par Christ.
Protégés sur la route grâce aux prières
Sur le chemin du retour, vers Saléchard, il s’est mis à neiger et un fort vent a fait disparaître le tracé du chemin. On n’y voyait plus guère et le Trékol est resté coincé dans une dépression du terrain. Il nous fallut trois heures pour dégager le véhicule, soit cinq heures pour couvrir les 10 km jusqu’à la route en dur !
Après cette fin de semaine, la tempête de neige s’est peu à peu calmée et nous avons pu faire d’autres sorties dans la toundra. Cette fois-ci, nous allions droit vers le Nord. Le trajet faisait plus de 200 km ; dans les fossés on voyait des camions embourbés depuis plusieurs jours... Nous avancions peu à peu, à raison de 20-30 km/h. Finalement, nous avons atteint notre but en fin d’après-midi. Pour tous nos trajets nous savions que beaucoup de personnes nous soutenaient de leurs prières et Dieu nous a magnifiquement protégés.
En route nous avons téléphoné à Sémion, le Nénètse chez qui nous nous rendions. La plupart ont déjà un téléphone portable. Certes, Sémion n’a pas bénéficié d’une grande formation, mais il connaît par cœur la région dans un rayon de 100 km. Il est venu à notre rencontre et nous a pilotés à travers la toundra jusqu’à son tchoum solitaire. La famille nénètse la plus proche habite cinq bons kilomètres plus loin.
Une grande pauvreté, mais heureux en Christ
Sémion a reconnu sa nature de pécheur et a placé tout son espoir dans le Seigneur Jésus. Sa femme Katya est déjà convertie et tous deux désirent maintenant être baptisés.
Nous avons été impressionnés par la fermeté avec laquelle ce chrétien supporte le dénuement de sa situation. Son tchoum a déjà vu passer bien des hivers. Plusieurs des quanrante perches qui en forment l’armature sont vieilles et demandent à être remplacées. Un tchoum neuf coûterait l’équivalent de 500 €, somme inaccessible pour cette famille. La motoneige est vielle, elle aussi. Il avait prêté sa tronçonneuse à ses voisins, mais elle lui est revenue avec le guide tordu, de sorte qu’il n’a plus pu couper son bois. De plus, sa génératrice était en panne, de sorte qu’il dû faire 20 km jusqu’au village pour recharger son portable. Des problèmes de tous côtés et pourtant il ne s’est pas laissé abattre !
À la question de savoir s’ils n’auraient pas envie de déménager en ville, Sémion et sa femme ont répondu : « Comment faire ? Nous n’avons aucune formation. Comment survivrions-nous là-bas ? » Comme nomades éleveurs de rennes, ils reçoivent une subvention mensuelle de l’État de quelques 30-35 € et des briquettes pour le chauffage. Mais celles-ci, Sémion doit les chercher lui-même : un voyage d’environ 100 km qui coûte tant d’essence que l’affaire n’est pas rentable.
Là aussi nous avons passé la journée à couper du bois. Sémion était heureux : il en avait maintenant pour deux semaines. Le soir, nous avons lu la Bible avec le couple et découvert qu’ils en connaissaient déjà beaucoup de choses.
Cela vaut la peine, la Parole de Dieu ne revient pas à vide
Pendant les mois d’été, les chrétiens de Saléchard évangélisent le long des fleuves. Le plus souvent, ils aident les Nénètses à pêcher, leur permettant ainsi de gagner un peu d’argent pour que ces habitants de la toundra puissent passer l’hiver.
Pendant les soirées claires (là, au-delà du cercle polaire, il ne fait jamais nuit l’été) les Nénètses écouteront chanter les cantiques chrétiens et proclamer le message du pardon des péchés et du salut en Jésus-Christ. Et nous espérons que certains d’entre eux consacreront leur vie au Seigneur Jésus. C’est là notre prière. Or nous savons que la semence répandue ne revient pas sans porter de fruit.
Rapport de Jakob Janzen