Sur les champs missionnaires de Sibérie orientale

C’est ainsi que pourrait être caractérisée la vie du frère Michaïl Troubtchik, l’un des premiers missionnaires en Yakoutie. C’est depuis la Sibérie orientale, qu’il est venu comme orateur à notre conférence d’automne (octobre 2012).
Michaïl s’est marié sur le tard, car son cœur et ses pensées étaient entièrement consacrés au ministère de la propagation de l’Évangile et à la fondation de nouvelles églises. Beaucoup de personnes ont trouvé le chemin du salut grâce à lui. Lorsqu’il a finalement épousé son Olga, à l’âge de 39 ans, il rêvait d’une famille nombreuse.
Mais la charge fut trop lourde pour Michaïl. Quatre ans après son mariage, alors que le couple venait tout juste d’avoir son troisième enfant, il craqua. Les médecins ont diagnostiqué une maladie neurologique rare accompagnée d’une paralysie totale. Si les muscles respiratoires avaient aussi été affectés, les médecins se seraient attendus à une mort rapide. Michaïl pouvait tout juste encore utiliser sa langue. Grâce à elle, il consolait sa famille et ses amis, et parlait aux patients et au personnel médical de l’amour de Jésus.
Sa guérison fut le sujet de prières au plan international. Ses médecins firent aussi de leur mieux et Dieu permit comme un miracle. La maladie recula. Lentement Michaïl reprit des forces et s’engagea de nouveau entièrement dans le service missionnaire. Dieu offrit trois autres enfants au couple.
Il y a trois ans, Michaïl et sa famille avaient déménagé de Yakoutsk à Kansk (région de Krasnoïarsk) pour l’œuvre du Seigneur. Bien qu’il ait franchi 2000 km vers l’ouest, il se trouve toujours en Sibérie orientale.

Qu’est-ce que la Sibérie orientale ?
Administrativement, les régions de Novossibirsk, de Krasnoïarsk, de Kemerovo, d’Irkoutsk, de Tchita, la Bouriatie, la république de Touva et la Yakoutie font partie de la Sibérie orientale. Au sud, elle touche la Mongolie et la Chine ; au nord, elle s’étend jusqu’à l’Océan arctique. Des fleuves imposants comme l’Yenisseï, la Léna et des milliers d’autres rivières la traversent. C’est ici que se trouve le lac Baïkal – le lac le plus profond du monde.
Avec une superficie de 7,2 millions de km², la Sibérie orientale est presque deux fois plus étendue que l’Europe occidentale (3,9 millions de km²). Dans sa partie septentrionale se trouvent des régions d’accès très difficile. Les distances entre les villes ou villages se chiffrent en centaines de kilomètres. Les liaisons ne sont possibles qu’en été, par les fleuves. En hiver, on les atteint seulement par les “chemins d’hiver”, quand les marécages et les lacs sont gelés en profondeur.

Les besoins spirituels
Du temps de la dictature communiste en Union Soviétique, bien des prédicateurs furent bannis en Sibérie. Là, ils répandirent la bonne semence de l’Évangile et prièrent pour un réveil. Seul Dieu sait combien d’entre eux y sont morts.
Après le changement politique (1990), les coutumes païennes des religions chamanistes ressurgirent massivement. Pour ce qui est des prêtres orthodoxes, ils se rendent uniquement dans les lieux d’accès facile, une ou deux fois par an, pour les confessions et les baptêmes. Mais ils se font payer chèrement pour cela, ce qui n’enchante pas les gens. En règle générale, les orthodoxes n’annoncent pas l’Évangile, ne connaissant pas eux-mêmes la nouvelle naissance.
Ces vingt dernières années, quelques missionnaires ont accepté d’être envoyés par le Seigneur dans le Nord, mais ils ne peuvent répondre aux immenses besoins spirituels.
Laissons la parole à Michaïl Troubtchik pour le récit du voyage missionnaire qu’il a entrepris avec trois autres prédicateurs, au début de l’été 2012.
“… jusqu’aux extrémités de la terre”…
C’est jusque-là que le Seigneur Jésus a ordonné à ses disciples de porter l’Évangile. Car Dieu aime tous les hommes. La plupart des villages de Sibérie orientale se sont établis le long des fleuves. C’est pour cela que nous avons projeté de suivre le fleuve Toungouska inférieur (qui se jette dans le fleuve Yénisseï à la hauteur du cercle polaire), puis l’un de ses affluents, la Népa.

Des retards imprévus et leur signification
Jusqu’au point de départ de notre voyage en bateau, c’est-à-dire le village de Podvolochino, nous avons utilisé un véhicule “UAS” russe, en passant par les villes de Bratsk, Oust-Kout et Kirensk. La route était souvent en très mauvais état et l’UAS a eu plusieurs pannes. Cela nous a retardés, mais aussi obligés à rencontrer diverses personnes. À chaque occasion, nous avons répandu la bonne semence. Dieu sait quand et comment elle sera reçue, car, pour Lui, il n’y a pas de hasard.
Arrivés au fleuve, nous avons été réjouis par le bon niveau de l’eau. C’était important, car nous voulions remonter son affluent, la Népa, sur 350 km. En été, l’eau y est si basse que les roches des berges représentent de grands dangers pour les embarcations.
Notre bateau à moteur avait passé l’hiver chez un homme encore inconverti. Il était si enthousiasmé par nos voyages missionnaires qu’il refusa tout loyer. Il nous pria d’utiliser l’argent de “son” loyer pour des enfants que nous rencontrerions au cours du voyage.

Nous avons démarré le moteur, mais après trois minutes, le vilebrequin s’est bloqué. Il s’avéra que la culasse avait lâché et qu’un roulement du vilebrequin était endommagé. Nous n’avons pas compris pourquoi ces obstacles se dressaient sur notre chemin. Impossible de trouver un garage dans cette région. Par trois fois, nous nous sommes rendus au chef-lieu d’arrondissement, distant de 100 km, par de mauvais chemins... Enfin, nous avons trouvé un homme qui nous a vendu la culasse de son moteur cassé, pour 250 €. Elle ne correspondait pas exactement, mais nous avons improvisé. La réparation du vilebrequin fut aussi très difficile.

Durant cette semaine de retard, le niveau d’eau du fleuve a baissé chaque jour de 10 cm. Cela nous inquiétait beaucoup. Finalement cette première semaine ne fut pas perdue. Un homme cultivé et respecté du village nous a rendu visite plusieurs fois durant la nuit. En fait, il voulait pêcher, mais au lieu de cela, nous avons discuté pendant des heures de son salut. Plus tard, son fils aussi est venu. Il nous a aidés bien volontiers pour la réparation. Nous étions heureux de pouvoir expliquer le plan du salut à tous les deux.
Le départ et les premiers villages
Enfin, tout fut prêt. Nous devions emporter assez de carburant pour tout le voyage, car il est impossible d’en trouver en chemin. Nous en avons chargé un canot pneumatique. Pour la première étape de 200 km jusqu’au village de Népa, nous avons mis deux jours. C’est ici que débouche le fleuve du même nom. Le temps était pluvieux et froid.

À Népa, deux fillettes sont venues à notre rencontre. Elles avaient participé à des réunions d’enfants que nous avions organisées deux ans plus tôt et elles nous avaient reconnus. Elles nous ont demandé de venir au club du village. Durant deux soirées, nous avons eu beaucoup de bonnes conversations, et surtout d’excellentes relations avec les enfants. Ils aimaient nous accompagner dans le chant des cantiques. Des femmes venaient aussi. Quant aux cinq hommes présents, ils étaient plus ou moins ivres, mais leur venue était déjà un progrès, cela leur avait coûté un gros effort !
La direction du club nous promit de rassembler la population quand nous nous arrêterions à notre retour. La nuit précédant notre départ, je n’ai presque pas dormi, car un homme est venu nous voir pour nous poser beaucoup de questions sur Dieu.
Dans la soirée, après un trajet de 180 km, nous avons atteint le village d’Ika qui compte seulement 80 habitants. On nous a dit que l’Évangile n’y a jamais été annoncé. L’autorisation de parler à ces villageois lors de notre retour nous a été aimablement accordée par le responsable du village. Une petite tente montée à l’entrée du village, nous a permis d’y passer la nuit.
Là aussi, des visiteurs sont venus de nuit – les nuits d’été sont assez claires ici –, posant leurs questions sur Dieu. Nous étions vraiment réjouis par ces “Nicodèmes nocturnes”, honnêtes dans leur recherche, malgré leur peur des moqueries de leurs compatriotes.
Effets des chants et de l’humilité…
Au bout de 150 km supplémentaires, nous sommes arrivés au village Bur. Sur la berge, nous avons rencontré une directrice du club, plutôt inamicale. Elle expliqua que notre activité était interdite et que la porte du club resterait fermée pour nous. Nous avons répondu que nous chanterions dehors. « D’accord, mais surtout pas dans le club ! », ajouta-t-elle.
Plus tard, nous avons appris qu’un autre groupe missionnaire avait déjà visité ce village en empruntant les “chemins d’hiver”, essuyant le même refus...

Nous nous sommes assis sur un banc, à proximité du club, et nous avons chanté un cantique après l’autre pendant une heure. Notre guitare attirait manifestement les gens. Bientôt quelques hommes ivres se rassemblèrent autour de nous.
La directrice du club nous jetait de temps en temps un regard curieux. Elle finit par nous dire : « Pourquoi vous donnez-vous tant de peine pour ces alcooliques ? Ce sont de toute façon des cas désespérés ! » Je répliquai : « C’est justement pour de telles personnes que Jésus est venu, parce qu’il les aime ! »
Finalement notre réserve triompha, car soudain elle nous dit : « Vous êtes autorisés à dormir au club ! »
Le soir, elle nous procura du lait et des pirochki (petits pâtés en croûte). D’ailleurs, il était impossible d’acheter du pain et de l’eau potable au village… tandis que l’alcool s’y trouvait partout ! Presque tous les hommes sont alcooliques. C’est la tragédie du peuple russe, aujourd’hui comme hier.
Le lendemain, notre bienfaitrice mit sa salle et sa sonorisation à notre disposition !

La présidente du village était malade, mais elle voulait absolument nous parler. Elle se disait orthodoxe, pourtant les rites de cette Église la laissaient sceptique. Elle nous a demandé de lui laisser des CD avec des cantiques et des prédications. Elle avait l’Internet et voulait rester en contact avec nous.

Le troisième jour, nous avons proposé notre aide pratique à l’administration du village. On nous a envoyés vers deux institutrices retraitées. Chez la première, qui était manifestement ivre, nous avons empilé le bois de chauffage ; chez l’autre, une Bouriate, nous avons bêché le jardin, arrangé les plates-bandes et répandu du fumier. Une bonne discussion s’en est suivie. Cette femme avait déjà lu la Bible autrefois.
Le soir, nous avons vécu une très bonne réunion au club, avec les villageois. Mais quelques-uns ne sont pas venus, c’était manifestement un mouvement d’opposition.
Le lendemain, nous avons exprimé à l’administration du village notre désir d’y rester encore, à condition qu’elle nous procure du travail. La directrice a répondu : « J’ai honte pour nos hommes ivres. Ils devraient faire eux-mêmes leurs travaux. Vous avez déjà travaillé et laissé un bon souvenir. Merci d’être venus. Restons en relation ! »
Le chasseur Alexeï
Nous avons donc décidé de reprendre le chemin du retour. Après 20 km, nous avons accosté pour manger. Soudain, un bateau à moteur arriva vers nous. C’était un chasseur nommé Alexeï. Il poursuivait un élan. Notre présence sur son territoire de chasse ne lui plaisait pas du tout. Mais lorsqu’il comprit qui nous étions, il fut très heureux. Il recherchait des croyants qui puissent répondre à ses questions. Il apprit trop tard que nous avions passé trois jours dans son village. La conversation dura cinq heures. Nous lui avons offert un Nouveau Testament et noté son adresse pour lui envoyer des journaux chrétiens. Déjà notre contact avec ce chasseur valait notre visite dans ce village.
(suite prévue pour le prochain numéro)