À la recherche de frères sur le “toit du monde”(suite)
Dans notre numéro 1/2010, nous avions donné le compte-rendu partiel d’un premier voyage missionnaire dans les hautes montagnes du Pamir, en août 2009, d’un groupe de neuf chrétiens kirghizes à la recherche de leurs compatriotes qui avaient cherché refuge là pour fuir la persécution des communistes après la prise du pouvoir de ceux-ci en 1917.
Aujourd'hui, environ 3000 d’entre eux vivent encore dans ces régions inhospitalières, dans un grand dénuement, à plus de 4000 m d'altitude. Ils n'ont ni école, ni assistance médicale, ni électricité, ni eau potable. Leur espérance de vie ne dépasse guère 40 ans.
Très touchés aussi bien par les conditions de vie extrêmes de leurs anciens compatriotes que par leur soif de l’Évangile, une nouvelle équipe missionnaire kirghize se mit en route pour une deuxième visite en 2010.
“Qui marchera pour nous ?” (Ésaïe 6.8)
L’appel du Seigneur était là pour nous pousser dans cette entreprise longue et dangereuse. Déjà, il y a deux ans, nous avions organisé des moments de prière pour demander instamment à Dieu Sa direction pour ce projet. Il nous avait répondu par sa Parole dans 2 Corinthiens 6.2 : “Voici maintenant le temps vraiment favorable, voici maintenant le jour du salut”.
Ajoutons d’abord quelques détails sur le déroulement de la première visite, en août 2009. Commencé en voiture à Bichkek la capitale, le voyage se poursuit par la traversée du Tadjikistan. La route passe le plus souvent par des cols de plus à 3500 m d'altitude. Mais, en Afghanistan, le passage par le Couloir de Wakhan est extrêmement dangereux. Ces “chemins de la mort” – sans glissière de sécurité ! – surplombent l’impressionnant ravin au fond duquel bouillonne le fleuve Amour. En traversant les torrents des glaciers, les voitures sont tombées en panne à plusieurs reprises.
Bientôt, il n'y avait plus de chemin carrossable du tout. Il a fallu louer 10 chevaux et 2 ânes pour respectivement 16 et 8 dollars par jour, le prix incluant le salaire de leurs propriétaires qui nous servaient de guides.
Entre la vie et la mort
Maintenant, les cols se situaient entre 4300 et 5000 m ! Bien qu’étant Kirghiz, nous sommes familiers des montagnes, mais de telles altitudes étaient difficilement supportables. L'un des frères a perdu beaucoup de sang suite à la rupture d’une artère. Pour d'autres aussi la tension artérielle a augmenté.
Au treizième jour du voyage (c.-à-d., au troisième jour de notre déplacement à pied), n’ayant pas ménagé assez de pauses, subitement l'un des chevaux s’est écroulé. L'autre a refusé d’avancer. Puis, l'un des frères a ressenti de violents maux de tête et ne pouvait plus se redresser. À son tour, l’un de nos guides est tombé, ayant perdu connaissance et en proie à de fortes crampes. Un même sort toucha le frère qui le suivait. Il s'était mis à vomir et à pleurer comme un enfant, sans pouvoir parler. Tout cela était dû à la raréfaction de l'oxygène.
Courant d'un malade à l'autre, il fallait assurer les soins de première urgence. Puis ce fut le tour de notre infirmière ! Incapable de se relever, elle aussi souffrait de crampes et de tremblements dans tout le corps. Nous avons pu la ranimer à force de massages intensifs et à l’aide d'eau froide.
C'est un grand miracle que nous soyons restés en vie. Nous n'avions plus d'eau. Dresser le campement nous a demandé de grands efforts. Certains pouvaient à peine avancer en rampant. Ce fut la nuit la plus difficile et la plus longue du voyage.
Nous avions conscience d’un combat spirituel. Satan n'appréciait pas du tout notre intrusion dans son royaume. Dans notre grande détresse nous avons prié Dieu de nous accorder son secours.
Mais ces difficultés n'ont pas entamé notre courage. Nous voulions retrouver nos compatriotes oubliés et leur apporter l'Évangile. C’est le Seigneur qui nous avait fixé le but !
Au but
Le lendemain, le 14ème jour, nous avions atteint en une demi-heure le dernier col Ak-Ilbirs, à 5000 m. Ce jour-là aussi, nous avons rejoint les Kirghiz du Pamir.
Lorsque nous avons rencontré le premier jeune homme parlant notre langue, quelques-uns d'entre nous n’ont pu retenir leurs larmes. Le jeune homme nous a conduits au campement constitué de tentes kirghizes typiques.
Dans l'une d'elles, on célébrait justement les fiançailles d'un jeune couple. La famille nous a accueillis très chaleureusement et nous a invités au dastarchan (repas festif sur le tapis déroulé dans la tente).
La communication avec les exilés du Pamir fut aisée. Nous parlons la même langue. Durant les dix journées, trop vite écoulées, nous avons eu de très nombreuses conversations en profondeur. Pas un seul Kirghiz ne les avait visités durant toutes ces décennies !
Une misère à fendre le cœur
Ce que nous avons vu dans ce campement nous a bouleversés. La douleur morale a surpassé largement les souffrances physiques endurées au cours du voyage.
Plusieurs enfants se sont rassemblés autour de nous, nous observant avec curiosité lorsque, après un premier repos, nous avons lavé nos habits et fait notre toilette. Les mains, le visage et tout le corps de ces enfants étaient recouverts d’une couche indescriptible de saleté. Pleins de compassion pour eux, nous les avons lavés eux aussi comme s'ils avaient été nos propres enfants. Ne connaissant pas les sucreries, ils mâchaient les bombons avec le papier qui les enveloppait !
Notre hôte avait deux femmes. L’enfant d'un an et demi de la plus jeune avait le visage tuméfié et devenait bleu lorsqu’il pleurait. Nous n'avons pu que prier pour lui. La femme plus âgée était très malade. Petite et ridée, elle paraissait déjà âgée, pourtant elle n'avait que 46 ans ! Elle nous dit : « Je suis contente de vous avoir vus, mes frères, avant de mourir. Nous vous avons attendus si longtemps ! Je vais bientôt mourir dans ce froid et cette poussière, comme beaucoup d'autres femmes Ici, rares sont ceux qui dépassent 40 ans. Il n'y a pas de médicaments. Pour les cas graves, nous n'avons qu'un seul remède : fumer de l'opium. Alors nous ressentons moins les douleurs ». Ces paroles nous ont fait pleurer. Nous avons promis de revenir.
Les filles se marient dès leurs 13 ans. À 30 ans, elles ont jusqu'à 10 enfants. Mais à peine deux d’entre eux survivent. Le taux de mortalité des mamans et des nourrissons est parmi les plus élevés du monde.
La nourriture
Ces Kirghiz du Pamir se nourrissent essentiellement de galettes de pain et de thé. Ils les partagent volontiers avec leurs invités, bien que devant voyager durant six jours avec leurs yacks pour se procurer la farine. Beaucoup élèvent des moutons ; les plus riches possèdent aussi des yacks. Ils ne mangent du mouton qu’occasion-nellement. Parfois la rigueur de l'hiver tue la plus grande partie du cheptel. Fréquemment le bétail survivant est dérobé par les voleurs.
Le plus grand cadeau
Comme nous l’avons déjà communiqué, notre plus grand cadeau pour ces exilés du Pamir : 80 lecteurs MP3 avec le texte de la Bible en kirghize. Nous savions que ce peuple ne connaissait pas la lecture et n'avait pas l'électricité. C'est pourquoi les lecteurs sont équipés de batteries solaires.
À la douane, un fonctionnaire suspicieux nous avait posé beaucoup de questions sur ces appareils. Alors que nous priions pour que Dieu nous accorde sa protection, un deuxième douanier s’est présenté, demandant à son collègue : « Tu n'as jamais vu de lecteur MP3 ? Laisse-les donc passer ! »
Notre joie fut grande de pouvoir apporter la Parole de Dieu dans ces régions reculées. Des gens sont aussi venus d'autres localités du Pamir pour écouter les merveilleuses paroles de vie.
Deuxième voyage, un revers ?
L’objectif de notre premier voyage était atteint : aplanir le chemin vers nos compatriotes. Nous pensions que les prochaines visites seraient plus faciles. Mais il en fut autrement.
En août 2010, le second groupe de quatre chrétiens s'est mis en route pour le Pamir. Plusieurs voulaient, d’abord, participer au voyage, mais ils ont dû y renoncer vu, d’une part, la situation financière difficile et, d’autre part, les circonstances de plus en plus catastrophiques dans le pays suite aux graves troubles politiques.
Nous voulions maintenant approfondir les contacts spirituels avec les habitants et leur expliquer davantage la Parole de Dieu. Il était également important de trouver un chemin d’accès plus court.
Nous sommes partis, chargés de bagages et de cadeaux. Tout était planifié à l'avance et nous sommes arrivés dans le sud du Tadjikistan à la date prévue. C’est alors que tout devint difficile.
Ce mois d’août fut exceptionnellement pluvieux. Les eaux inondèrent les villages de montagne ; des coulées de boue détruisirent les chemins et les ponts. Dans ces contrées pauvres aucun engin lourd n’est disponible pour rétablir rapidement les liaisons détruites. Même un fonctionnaire qui voulait nous aider à un poste de contrôle n'a pas pu parvenir jusqu'à nous.
Nous avons attendu quelques jours dans un hôtel la baisse du niveau des eaux. À certains endroits, nous avons réussi à traverser la masse d'eau à côté des ponts détruits. C'était dangereux, car, en cas de panne, nous aurions appelé les secours en vain.
Après avoir traversé quelques cols (jusqu'à 4635 m) et surmonté bien de difficultés, nous avons atteint la frontière afghane. Nos visas ont été rapidement disponibles, mais il manquait une autorisation supplémentaire des autorités de Douchanbé (Tadjikistan). L'ayant obtenue au bout de quelques jours, les douaniers afghans nous ont interdit l’accès au pays parce que la situation politique y était devenue instable. Les Talibans venaient de tuer dix collaborateurs d'une ONG internationale.
On nous proposa une autre possibilité, mais pour cela il fallait refaire d'autres papiers… à notre domicile !
Pourtant ils nous attendent !
Le cœur lourd, nous avons rebroussé chemin. Nous savions combien nos amis se réjouissaient de notre visite, et aussi que de nombreux chrétiens priaient pour nous. Nous ne comprenions pas pourquoi le chemin venait de se refermer.
Lors de nos adieux aux Kirghiz du Pamir, en 2009, Chan, gravement malade, avait serré le frère Issa dans ses bras et lui avait dit en pleurant : « Revenez, ne nous oubliez pas ! » Entre-temps, nous avons reçu la triste nouvelle de son décès.
Nous ne voulons pas abandonner le projet et nous faisons nos préparatifs pour 2011.
Peut-être ne faut-il pas qualifier notre voyage de 2010 de manqué ? Nous avons tout de même pu annoncer l'Évangile à beaucoup de personnes le long du chemin. Nos nouveaux amis nous ont promis de nous aider à notre prochaine tentative.
Et notre groupe a été gardé à travers toutes les difficultés. Nous en sommes reconnaissants envers Dieu.
L’équipe missionnaire kirghize
Vont-ils y retourner ?
Chers amis de la Mission, redoublons de prières pour les chrétiens kirghizes. Ils sont prêts à se sacrifier pour un nouveau voyage. Cette fois-ci, les obstacles ont été trop grands. Notre Seigneur Jésus connaît les temps et les circonstances. Peut-être que ce voyage "non réussi" est un signe pour nous tous, montrant que nous devons nous engager davantage dans le combat spirituel. Dieu veut nous parler à travers cela. (La Friedensbote)