donnez-leur vous-mêmes à manger

Troisième voyage sur le “toit du monde”

À la suite de nos précédents rapports (voir les n°1/2010 et 2/2011) sur un premier voyage missionnaire dans les hautes montagnes du Pamir, en août 2009, nous donnons ici le compte-rendu d’un troisième voyage (le deuxième, entrepris en août 2010, avait échoué) effectué en août 2011.

Le 2 août, notre groupe de sept personnes est parti avec une voiture et un ZIL (camion russe) loués, chargés des 4,5 tonnes d’aide humanitaire que la mission FriedensBote venait d’acheminer en Kirghizie.

La route traversait de hautes montagnes en Kirghizie, au Tadjikistan et, plus tard, en Afghanistan. Nous espérions que les formalités douanières seraient plus faciles, car nous représentions la jeune association “Rameaux kirghizes”. Malgré cela, il fallut attendre cinq jours à la frontière afghane avant que la route ne s’ouvre devant nous !

La tension était grande. Nous avions demandé l’autorisation d’emprunter le chemin militaire, bien plus court et plus facile. À l’origine, seuls les blindés soviétiques utilisaient ce chemin. Aujourd’hui, cette voie demeure fermée aux civils, à trois exceptions près. Sans cette autorisation, nous aurions dû faire un long et difficile détour à pied, et la plus grande partie de l’aide humanitaire aurait dû rester à la frontière.

Chaque jour, nous nous sommes rendus dans les bureaux du maire, des douanes et auprès du chef du KGB. Manifestement, certains ne voulaient pas nous ouvrir la route et nous réclamaient sans cesse de nouvelles attestations.

Dans notre incertitude, nous avons prié Dieu et nous avons reçu la conviction que nous ne devions pas renoncer, comme Moïse devant Pharaon. Le Seigneur nous fortifia par le verset de 1 Samuel 17.45 : “ David dit au Philistin : … je marche contre toi au nom de l’Éternel des armées”.

Durant ces cinq jours, nous avons eu de bons contacts avec diverses personnes, depuis le maire jusqu’aux simples habitants de la ville-frontière chez qui nous avons logé. Nous leur avons offert des draps de lit prélevés sur l’aide humanitaire. Le ministère kirghize de l’Immigration soutenait efficacement notre voyage.

Avant l’entretien décisif, nous avons prié intensément pour que Dieu nous fasse grâce. Nous savions que des représentants du ministère kirghize pour le contact avec les Kirghizes du Pamir n’avaient obtenu qu’une autorisation de séjour pour trois heures. Dieu soit loué, nous avons obtenu ce que nous avions sollicité : deux semaines !

 

« Êtes-vous venus pour nous chercher ? »

Le lendemain, départ à 7 heures en compagnie de militaires. Vers 16 h nous sommes arrivés au bord d’un large torrent. Nous étions déjà très près du but. La dernière étape ne pouvait être parcourue qu’avec des bêtes de somme. Le camion déchargé fit demi-tour. Nos accompagnateurs militaires aussi prirent congé. Ils devaient nous reprendre au même endroit deux semaines plus tard.

Quelques cavaliers, des Kirghizes du Pamir, nous attendaient déjà avec des chevaux supplémentaires. Il n’y avait pas de ponts pour franchir les trois torrents glaciaires. À certains endroits, l’eau glacée atteignait la selle des chevaux et nous étions bien trempés. Une sœur a failli être emportée par le courant…
Il faisait déjà sombre quand nous avons atteint le premier village kirghize. On nous y attendait depuis deux ans ! La joie de la rencontre fut très grande des deux côtés. Immédiatement un mouton a été apprêté. Mais leur première question était : « Êtes-vous venus pour nous chercher ? »

Accueil chaleureux

Dans ce massif du Petit Pamir, à une altitude de 4300m, il y a huit villages. Chacun est constitué de 3 à 10 yourtes. Certains Kirghizes possèdent des émetteurs radio, de sorte que la nouvelle de notre arrivée s’est propagée immédiatement partout.

Le lendemain matin, environ 50 hommes, accompagnés des chefs de tous les villages, sont arrivés pour réceptionner l’aide humanitaire. Le nouveau Khan, 28 ans, quatrième fils du Khan décédé, était également présent.

Après les présentations et la transmission des salutations de Kirghizie, nous avons distribué les cadeaux. Chaque village a reçu vingt gros ballots d’habits pour hommes, femmes et enfants – emballés par la mission FriedensBote –, ainsi que des chaussures et des draps. Les chefs ont certifié la réception de ces biens par l’apposition de leur empreinte digitale sur nos formulaires.

Nous avons aussi eu leur autorisation pour établir des statistiques. Les plus âgés nous ont fait des récits déchirants de leur passé, lorsque le pouvoir communiste soviétique a imposé avec violence de nouvelles frontières à travers le pays. Parents et enfants ont été séparés pour toujours par des lignes de fil de fer barbelé. Cela avait alors poussé de nombreux Kirghizes à s’enfuir dans les montagnes du Pamir.

Pour nous, l’accueil a été partout des plus chaleureux. Les gens nous offraient ce qu’ils avaient de meilleur, souvent tout ce qui leur restait. Sur toute cette période, douze moutons ont été apprêtés pour nous.

De la neige en été

Chaque jour, nous allions à cheval dans un autre village. Une à deux heures de marche séparent ces villages les uns des autres. Parfois il faisait beau, mais un jour d’août, il a bien neigé, le vent et le froid violent nous empêchant de parler. Le manque d’oxygène en altitude rend la respiration difficile, produit de constants maux de tête, augmente le rythme cardiaque et provoque une faiblesse générale. C’est dans ces rudes conditions que les femmes doivent, en toute saison, traire les yaks, parfois durant cinq heures par jour.

L’extrême sécheresse de ces dernières années et la violence des vents rendent la vie très dure. Un jour, le vent a détruit la yourte où nous étions. L’un des poteaux (uuk) s’est brisé au-dessus de la tête de notre frère. Dieu nous a préservés du pire, ainsi que le bébé dans son berceau.

Changements – l’école

Depuis notre dernier voyage en 2009, certaines choses ont changé au Pamir. Chaque village a au moins un téléviseur. Il se trouve dans la yourte des riches. Les plus pauvres s’y rassemblent quand il y a une émission sur la Kirghizie. Le mal du pays augmente alors. Mais actuellement le retour est impossible.

L’année dernière, dans l’un des villages, une petite école a été construite grâce à l’aide de l’étranger. Elle comporte trois pièces pour environ 50 élèves. L’école ne fonctionne que durant les deux mois d’été ; le reste de l’année, la quantité de neige sur les chemins reliant les villages empêche le déplacement des enfants. Les plus éloignés doivent chevaucher deux jours durant sur des sentiers de montagne dangereux pour atteindre l’école. C’est pourquoi ils habitent dans une tente à proximité. Les parents n’aiment pas se séparer de leurs enfants et pleurent en les voyant partir. Pour beaucoup, il s’agit de leur unique enfant survivant après le décès des précédents. Ils ont peur de perdre ce dernier espoir. Mais l’école est obligatoire.

Un livre scolaire doit servir à cinq écoliers. Les enfants sont assis par terre ou sur un siège sommaire muni d’une planchette latérale servant de table. L’enseignement se fait en trois langues afghanes. Cela attriste les parents, car, de cette manière, leur langue maternelle et leur identité nationale se perdent. Les instituteurs utilisent aussi les châtiments corporels.

Les enfants sont très timides. Un jeune ne trouva que quelques paroles prononcées avec hésitation pour répondre à mes questions :

- As-tu des jouets ? – Non.

- As-tu déjà entendu parler de la Kirghizie ? – Oui, c’est beau là-bas.

- Qu’est-ce qui est beau là-bas ? – Il y fait chaud et il y a des pommes.

Maladies et mort

Nous avons été profondément affligés en entendant ces gens, le regard éteint et sans émotion visible, nous parler de la mort de leurs proches. Ces dernières années, les décès sont devenus quasi quotidiens. La mort des jeunes adultes est sou--vent due à des problèmes cardiaques ou circulatoires, à des péritonites ou des bronchites.

Les Kirghizes du Pamir ont le plus fort taux de mortalité au monde pour les jeunes mères et les nouveau-nés. Les causes de décès sont souvent la non-délivrance du placenta, de fortes hémorragies et l’anémie qui en résulte.

Un veuf nous a raconté que ses deux femmes, ainsi que leurs bébés, sont morts pendant l’accouchement. De ses dix autres enfants, seuls deux survivent.

Un autre souffre de solitude après la mort de sa femme et de ses enfants. Les femmes sont très minoritaires parmi la population de ces villages. Pendant les deux semaines de notre visite, nous en avons rencontré peu ayant plus de 50 ans.

Des médicaments leur parviennent parfois, souvent périmés. De toute façon, personne ne sait lire les notices, ce qui rend les gens méfiants et anxieux.

Hommes et femmes fument de l’opium pour soulager leurs douleurs. Le revers de la médaille est la dépendance à cette drogue. Le coût de ce “traitement” peut s’élever jusqu’à 8 ou 9 yaks par an. Il y a 5-6 ans, l’opium était le seul “médicament” disponible lorsqu’une grave épidémie emporta de nombreuses personnes.

De nouveau à la maison

Le 23 août, nous avons pris congé de nos compatriotes. Des soldats nous ont à nouveau accompagnés sur le chemin militaire. Sur le dangereux trajet suivant, le véhicule a failli se renverser à plusieurs reprises. Un pneu crevé nous a presque envoyés dans un précipice. Nous sommes restés plusieurs heures sans secours, exposés au froid et à l’obscurité.

Mais Dieu nous a secourus une fois de plus. C’est ainsi que, après quatre semaines, le 2 septembre, nous sommes revenus sains et saufs à Bichkek, retrouvant le monde civilisé et pouvant enfin reprendre une douche et nous reposer.

Le maire de la ville du Tadjikistan qui nous avait aidés à l’aller, ainsi que le ministre kirghize chargé des migrations, nous ont reçus et ont manifesté un vif intérêt pour notre voyage. Nous avons pu discuter avec eux des projets d’avenir pour cette population kirghize du Pamir. L’un d’eux nous a dit : « J’ai prié tous les jours pour vous ! »

Que pouvons-nous faire
à présent ?

Dans le cadre de notre dernier voyage, nous n’avons pas eu le droit d’organiser des activités religieuses. Mais nous avons eu beaucoup d’occasions de parler avec diverses personnes du sens de la vie. Il était très important pour nous de revoir d’anciennes connaissances. L’une d’elles, une femme âgée, nous a dit : « Je prie pour vous jour et nuit ». À certains endroits, nous avons vu fonctionner les MP3 apportés précédemment et contenant des enregistrements de la Bible.

Nous sommes heureux que Dieu nous ait permis de servir notre peuple. C’est à Lui que nous le devons, ainsi qu’aux prières et au soutien pratique des amis de la mission. Que Dieu soit glorifié en toutes choses. Nous continuons de prier pour nos concitoyens oubliés et nous pensons déjà à notre prochain voyage vers eux.

Issa Omurakounov et Gulsat Bolotova