donnez-leur vous-mêmes à manger

Il y a 50 ans des enfants étaient arrachés à leurs parents à cause de leur foi

Yevgueny Pavlovitch Sirokhin (né en1926) et Maria, sa femme, avaient cinq enfants, quatre filles et un garçon, qui était le cadet.
Les filles s’appelaient Lioubov, Nadièjda (1953), Raïssa (1955) et Véra. Au début des années 1960 l’Union soviétique organisa une campagne de grande envergure pour l’élimination de la religion. En 1980 on allait édifier dans le pays le communisme débarrassé de toute religion.
Les puissants de l’époque accueillaient favorablement toute idée permettant d’opprimer les croyants.
En 1962 on a accusé  Yevgueny d’avoir déserté l’armée, alors qu’il était invalide de guerre. Il ne voit que d’un œil et encore à condition de regarder en biais. Le témoin chargé d’attester  que Yevgueny s’était enfui de l’armée, s’est pendu deux jours avant le procès et fut enterré le jour du procès. Et malgré tout cela Yevgueny fut condamné à trois ans de prison.
En 1963 le tribunal de la circonscription retira à Maria, sa femme, ses droits parentaux. Les trois filles aînées furent emmenées de force dans un internat à Krasnograd, à environ 100 km de Perkhotravnieve. Les deux autres enfants étaient chez leur grand-mère et échappèrent ainsi au rapt. A l’internat on essaya de contraindre les enfants à s’affilier aux Pionniers, une organisation communiste de jeunes. Un jour on a noué de force le foulard rouge trempé dans l’eau autour du cou de Lioubov et les éducateurs le serrèrent intentionnellement si fort que Lioubov n’avait aucune chance de le défaire. Cela lui coupa la respiration et elle devint toute bleue, de sorte que les éducateurs durent prendre des mesures de secours d’urgence.
Mais les tracasseries ne s’arrêtèrent pas pour autant. En voici un autre exemple : pour qu’elles ne puissent pas se soustraire aux émissions télévisées de propagande soviétique sur l’enfance heureuse, les filles furent ligotées sur leur chaise. Et comme elles ont fermé les yeux en signe de protestation, on les leur a ouvert de force en les bloquant avec des bouts d’allumettes qui les empêchaient de fermer les yeux.
Les filles décidèrent de fuir. Mais il leur fallut environ deux ans pour réunir l’argent de poche nécessaire. Une nuit Nadiejda s’éclipsa la première. Pendant  quelques kilomètres elle dut  courir dans l’obscurité et par prudence se cacher dans les broussailles à la vue des voitures. Une fois qu’elle se fut suffisamment éloignée de l’internat, elle prit le risque de prendre un bus de nuit à destination de Merefa qu’elle connaissait. Là elle fut cachée par des croyants. Ensuite c’est Lioubov qui se sauva, puis Raïssa. Les croyants conduisirent les filles chez de la parenté à proximité de leur domicile.
Entre-temps le père était rentré de captivité. Il étudia les lois concernées et constata qu’elles ne comportaient aucun article permettant de retirer à son épouse ses droits parentaux. On était en plein arbitraire.
Nesterenko, l’avocat de la circonscription, convoqua le frère Sirokhin et lui demanda de convaincre les enfants à retourner volontairement à l’internat, sinon on lui retirerait, à lui aussi, les droits parentaux. Le frère Sirochin lui répliqua en lui demandant si lui se voyait en mesure de renvoyer ainsi ses propres enfants. « Je perdrais toute crédibilité, si je demandais une chose pareille », répondit celui-ci.
L’avocat qui savait, lui aussi, qu’il avait été illégal de retirer les droits parentaux à la maman et qu’on n’avait pas le droit de les refuser au père, finit par déclarer : « Agissez selon ce que vous dicte votre conscience ! »
L’internat expédia les papiers des filles à l’école la plus proche et les enfants purent désormais rester chez leurs parents.
Toutes les filles sont devenues croyantes, mais Vera, il est vrai, est décédée entre-temps. En 1993 Maria, la maman, eut une attaque et resta alitée sept années durant, sans le moindre murmure, selon le témoignage de tous ceux qui la connaissaient. Elle ne pouvait même plus bouger ses doigts et tout juste encore parler. Le vieux papa a maintenant 86 ans.

La famille Sirokhin a émigré en Amérique, seul le père est resté et habite toujours dans son village. Il a fait cadeau de sa maison à Natacha Nikolaïenko qui y vit avec son mari et leurs dix enfants en garde.

(voir plus loin l’histoire de Natacha Nikolaïenko)